Indy, J'Arrive

Michael J. LeBrecht II/NBAE via Getty

To read in English, click here.

Les gens adorent me demander si j’ai toujours eu autant de confiance. Si j’ai toujours été ce même type de joueur, un gars qui joue avec beaucoup d’émotion et qui parle un peu trash. À chaque fois qu’on me pose ces questions, j’éclate de rire … parce que la réponse est simple.

OUI.

J’ai toujours été super confiant en raison de ma provenance, de mes origines. Je suis un fier Haïtien-Canadien qui a été élevé par plusieurs femmes fortes. La force qu’elles m’ont montrée est toujours restée avec moi. Et elle n’a fait qu’augmenter au fil des défis auxquels j’ai dû faire face. 

J’ai grandi à Montréal, dans les appartements où vivait ma famille sur la rue Dagenais. J’étais le plus jeune. Il y avait moi, mon grand frère Dominique, ma grande sœur Jennifer et ma mère. C’était juste nous et j’adorais ça. J’ai adoré être élevé par une mère haïtienne qui s’assurait qu’on connaisse cette partie de notre passé, qu’on ne perde pas nos origines. La musique qu’on écoutait, la BOUFFE qu’elle nous cuisinait… tout. Je suis tellement fier d’être Haïtien-Canadien. C’est une partie importante de qui je suis. C’est pour ça que je raconte à tout le monde à quel point Montréal est une ville incroyable et le Canada un pays unique. 

On a tellement plus à offrir au nord de la frontière que vous croyez. La culture à Montréal, man… il y en a tellement. C’est un endroit avec une grande diversité. J’aimerais pouvoir mieux vous l’expliquer, mais je vous dis, c’est un endroit que vous devez absolument visiter. Passer du temps dans cette ville avec tout ce qu’elle a à offrir et avec ses résidents, ça va vous inspirer. Quant aux sportifs, il y a de vrais bons joueurs de basket qui viennent de Montréal. Des gars comme Lu Dort, Khem Birch, Joel Anthony, Chris Boucher et mon coéquipier Chris Duarte. Lu était un bon ami de Dominique et est même venu m’encourager au repêchage. Nos liens sont aussi forts que ça.

Attends, deux secondes. Faut vraiment parler de la bouffe haïtienne. Man – le plat de riz, haricots   et poulet de ma mère. INCOMPARABLE!! Personne, mais vraiment PERSONNE ne peut cuisiner ce plat comme elle. Je sais qu’elle me lit. Je ne pouvais pour écrire un article sans vanter ses talents de cuisinière.

Ma mère a vraiment fait de son mieux pour nous. Elle se préoccupait pour notre avenir, vous comprenez ce que je veux dire?? Ce n’est pas dire qu’on n’a pas vécu des périodes difficiles. Plusieurs soirs, quand on allait se coucher, on entendait des coups de feu. Il y avait plein de drogue et toutes sortes d’autres choses dans les rues où on vivait. Ce n’était pas facile. Je dirais que la chose la plus difficile là-dedans, c’est de trouver un chemin pour s’en sortir sachant que pas tout le monde va réussir. Voir ses amis morts ou en prison… ça a eu un gros impact sur moi. Et ça m’a vraiment orienté quand j’essayais de choisir la bonne voie. 

La chose pour laquelle je suis le plus reconnaissant pendant mon enfance est le lien que j’avais avec mon frère et ma sœur. J’ai toujours été proche de ma sœur. On était juste très semblables. Et Jennifer jouait au basket aussi, avec un bon tir et du talent pour dribbler. Mais ne vous trompez pas, elle ne m’a jamais battu!! Pas une seule fois!! Hahahah (Désolé, Jenn). Mon frère et moi, on partageait une petite chambre. Croyez-moi, elle était vraiment petite. On dormait dans des lits superposés et on avait une garde-robe miniature où on mettait tous nos vêtements. Le problème n’était pas de devoir partager une chambre avec mon frère mais le fait qu’il laissait toujours tout en désordre, haha. On pouvait essayer de mettre de l’ordre autant qu’on voulait, mais Dominique remettait tout en désordre en quelques secondes. 

Bennedict Mathurin | Indiana Pacers | Indy, I’m All In | The Players’ Tribune
Courtesy Bennedict Mathurin

Même s’il pouvait être dur avec moi, il ne laissait personne me faire la vie difficile. Une fois un gars voulait se battre avec moi. Je n’ai même pas eu le temps de cligner des yeux que Dominique était déjà là pour me défendre. Il faisait savoir à tout le monde que s’ils se bagarraient avec moi, ils se bagarraient aussi avec lui. Je me souviens d’avoir pensé à ce moment-là: Ouais, lui c’est MON grand frère.

Je ne voulais jamais m’éloigner de lui. Le fait qu’il était mon aîné de trois ans n’avait aucune importance parce que pour moi, il était mon jumeau. Quand on n’était pas en train de se battre l’un l’autre à James Bond ou Call of Duty sur PlayStation sur notre télé miniature, j’étais dehors en train de jouer au basket avec lui et ses amis. Le plus fou, c’est que je les battais!! C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que si ces gars plus âgés n’étaient pas capables de me battre… alors personne de mon âge ne pouvait me faire concurrence. C’est probablement à ce moment-là que le trash talk a commencé haha. J’ai alors décidé de participer aux essais pour l’équipe. Je devais être en cinquième ou sixième année. Pendant qu’on faisait des exercices et qu’on jouait pendant les essais, je me disais: c’est trop facile. À partir de ce moment-là, je savais que je voulais jouer au basket. 

C’est à peu près à cette époque-là que l’accident s’est produit… un matin que je n’oublierai jamais. 

Je me suis réveillé un jour pour apprendre la pire nouvelle imaginable: mon frère à vélo, impliqué dans un accident avec une auto, était décédé. Dominique n’avait que 15 ans. 

Je n’arrivais pas à comprendre ce qui se passait. Dominique?? Mon frère???? Mon jumeau??

Une personne que j’aimais avait tout simplement DISPARUE. Une personne qui me défendait toujours avait DISPARUE. Même si c’était difficile à accepter, je savais que je devais faire face à la réalité. Je ne pouvais plus passer ma vie à aller au parc et à l’école. Ça ne pouvait plus être mes seuls objectifs. En l’absence de mon grand frère, c’était à moi de prendre soin de ma famille. Je devais arrêter d’être un enfant et devenir un jeune homme. J’avais donc une nouvelle mission: tout faire pour que ma famille aille bien. 

Dans les années qui ont suivi la mort de Dominique, le basket n’était plus juste un jeu pour moi parce que je ne jouais plus juste pour moi. Je me souviens d’un jour, quand j’avais 15 ans, un de mes entraîneurs est venu me voir et m’a dit: Si le train passe… prends-le. À l’époque, je ne comprenais pas trop ce qu’il me racontait. Mais deux semaines plus tard le train dont il m’avait parlé est passé.

Mon oncle a reçu un appel disant qu’une académie de la NBA était sur le point d’ouvrir ses portes au Mexique et que j’étais l’un des premiers joueurs qu’ils voulaient recruter. Une bourse d’études complète, logement et repas inclus. Ils offraient tout ce qu’on pouvait souhaiter.  

Je ne mentirai pas: même si tout paraissait bien, il y avait une partie de moi qui n’était pas prête à monter dans le « train » vers le Mexique. Au début, je me disais: Non, je n’y vais pas. Ils vont devoir faire les choses sans moi là-bas. Mais j’ai commencé à faire plus de recherches et j’ai réalisé que ce n’était pas n’importe quelle académie. C’était peut-être une porte d’entrée vers la NBA. Alors j’ai décidé: Je vais prendre un aller simple et voir où ça mène. Je vais prendre le train. 

Mes quelques premières semaines au Mexique ont été plutôt difficiles – j’étais un peu perdu dans mes pensées. J’appelais ma famille pour dire: Je ne pense pas être capable. Je me sentais mal de laisser ma mère toute seule à la maison et je pensais à tout ce que me manquait. Plus j’observais mon entourage et essayais d’apprécier l’Académie, plus je réalisais à quel point j’étais chanceux. J’obtenais une bonne éducation, j’avais le basket et surtout j’étais en sécurité. Il y avait là des conditions qui pouvaient me transformer en tant que personne et en tant que joueur. J’apprenais même l’espagnol pendant que j’étais là-bas. Plus on voyageait pour des matchs, plus j’avais envie d’apprendre d’autres langues. Il n’y avait pas de distractions. Il y avait juste moi, l’école et le basket. Je sais que peu de jeunes ont cette chance dans la vie, surtout d’où je viens. 

Le Commissaire Silver est même venu assister à un de nos matchs au Mexique. Quand je l’ai aperçu, j’ai dit à un de mes coéquipiers: Bon, je vais aller le voir. Ha. C’est la confiance dont je vous parlais. Je l’ai fait pour de vrai. Je suis allé voir le patron de la NBA et je lui ai dit: Dans quelques années, vous allez me voir au repêchage. 

Il m’a fait un signe de la tête et a répondu: Je garderai l’œil ouvert. 

Quand le moment est venu de penser aux prochaines étapes, ce n’était pas du tout difficile de choisir une université et l’Arizona. J’aimais le fait que leur programme de basket donnait l’impression d’être une famille et je voulais vraiment faire partie de quelque chose comme ça. Ma première année a été marquée par la pandémie et ça a été difficile pour moi de trouver un rythme, compte tenu de tout ce qui se passait, toutes ces choses plus importantes que le basket. Quand ma première saison s’est terminée, je savais que je devais y retourner et démontrer à tout le monde ce que je pouvais vraiment faire. 

Quand je suis revenu à Tucson pour ma deuxième année, j’avais l’impression que ça allait être mon année. Au début les entraîneurs me disaient de juste me concentrer sur mon tir. Même si j’aime tirer, je n’aimais pas cette idée. Je ne voulais pas être étiqueté comme un joueur qui peut seulement tirer et jouer en défensive. Je savais que je pouvais tout faire et que j’avais juste besoin de le prouver. 

J’ai donc travaillé comme un fou. J’allais au gym deux ou trois fois par jour pour travailler sur tous les aspects de mon jeu. Dribbler, faire des finitions, passer et tirer. Je voulais être un de ces gars de qui on peut dire: Oh, il n’en a pas de faiblesses. 

Je sais que certaines personnes étaient impressionnées au début de la saison quand mon niveau de jeu est monté en flèche – mais je n’étais pas parmi elles. 

Je suis toujours gagnant, mais ma priorité est mon équipe. Ça a été difficile de me rendre disponible pour le repêchage avant qu’on atteigne nos buts à l’Université de l’Arizona. J’apprécierai toujours comment tout le monde était content pour moi et selon moi, je serai un Wildcat pour la vie. Peu importe ce que j’accomplis dans cette ligue, je le ferai en représentant mon université. 

La semaine du repêchage, quand je prenais part au dîner pour les espoirs de sélection, j’ai revu le Commissaire Silver. Vous savez que je ne pouvais m’empêcher d’aller le revoir. Je l’ai salué et lui ai rappelé la conversation qu’on avait eu au Mexique. 

Il m’a regardé et a dit: Je m’en souviens. 

Ouais. Je pense avoir souri.

Et je me suis dit: Voici, ça y est. C’est mon moment.

Bennedict Mathurin | Indiana Pacers | Indy, I’m All In | The Players’ Tribune
John W. McDonough/Sports Illustrated via Getty

J’ai toujours voulu que le monde sache que c’était aussi le rêve de Dominique de se rendre à la NBA. C’était un rêve qu’on voulait réaliser ensemble. Je l’amène partout avec moi dans cette aventure. Je refuse qu’il tombe dans l’oubli. 

C’est pour ça que son nom est tatoué sur mon avant-bras, avec sa date de naissance et sa date de décès. C’est pourquoi dans toutes mes publications sur Instagram, j’utilise toujours le hashtag #domixworld. C’est ma manière d’exprimer qu’à chaque fois que quelque chose de bon se passe dans ma vie, c’est une réussite pour mon frère autant que pour moi. C’est aussi pourquoi le soir du repêchage, j’ai porté un complet rouge fait sur mesure qui me rapprochait de mon frère. Ce complet a une valeur spéciale. En le portant, je ressentais que Dominique m’accompagnait sur scène. 

Je veux vous raconter une drôle de situation qui s’est produite le soir du repêchage. Les quelques premières sélections ont été annoncées et j’avais l’impression que ça allait être mon tour bientôt. Un petit conseil pour ceux qui attendent un coup de fil important: votre cellulaire devrait au moins être en mode vibration pour que vous puissiez répondre!!! Ha. Toute la soirée, pendant que je faisais plein d’entrevues, j’étais tellement excité que j’avais oublié que mon cell était en mode silencieux. Quand j’ai enfin regardé mon cell, j’avais six appels manqués… de Coach Rick. 

Il tentait de m’appeler pour me dire que j’étais officiellement devenu un Pacer et pour me souhaiter la bienvenue. Il est tombé sur la boîte vocale!! SIX fois. (Désolé, Coach.)

Heureusement, Coach Rick a continué d’appeler et est enfin parvenu à me joindre, haha. C’est à ce moment qu’il a exprimé qu’il voulait que je fasse partie de son projet en Indiana. Je m’étais dit avant le repêchage que je n’allais pas pleurer devant les caméras. Mais quand j’ai entendu mon nom, je n’ai pas pu me retenir. Les larmes se sont mises à couler d’elles-mêmes en pensant à tout ce que ça m’avait pris pour arriver ici… de Montréal à la NBA. Et pensant à mon frère et comment il aurait été fier de me voir réaliser notre rêve. Si j’avais pu dire quelque chose à Dominique à cet instant-là, je lui aurais dit: On a réussi

Bennedict Mathurin | Indiana Pacers | Indy, I’m All In | The Players’ Tribune
Mike Lawrence/NBAE via Getty

Je suis maintenant avec les Pacers sur le point de jouer devant un des meilleurs groupes de partisans de la NBA. Ça n’a pas pris de temps pour que je me sente le bienvenu. J’ai déjà fait une erreur de novice. Je ne savais pas qu’il pleuvait BEAUCOUP ici en Indiana. Mais j’apprends rapidement. Je me suis acheté un imperméable au plus vite. 

Je me suis vraiment beaucoup amusé en visitant la ville d’Indy. Une des choses marquantes a été le fait de rencontrer beaucoup de partisans et de voir à quel point les gens avaient hâte que la saison commence. Je suis allé à la foire d’état d’Indy pour la première fois avec mes coéquipiers, ce qui a été super. J’ai aussi eu la chance de donner un coup de main aux Special Olympics. C’était une expérience incroyable de jouer avec les enfants et de les voir sourire. Je vous ai déjà dit que j’aimais manger, vous donc savez qu’une des premières choses que j’ai faite, c’est de découvrir les meilleurs restos du coin. 

Je veux remercier les partisans des Pacers de m’avoir si bien accueilli. 

Et la dernière chose que je veux leur dire: Préparez-vous.

Non, pour de vrai: PRÉPAREZ-VOUS!! Parce que je suis un gars qui veut tellement gagner et qui va trouver une manière de gagner coûte que coûte. Alors, selon moi, on peut s’attendre à travailler, compétitionner et GAGNER.

Je suis venu ici pour faire ces trois choses-là.

C’est peut-être ma confiance qui parle, mais de toute ma vie je n’ai jamais eu peur d’affronter qui que ce soit. Je n’ai donc pas l’intention de commencer à avoir peur maintenant, après m’être rendu jusqu’à la ligue. J’arrive avec la même confiance que j’ai toujours eue – la confiance selon laquelle chaque fois que je serai sur le terrain, vous allez apprendre à me connaître. Si vous me regardez ou jouez contre moi... si je suis sur le terrain, vous allez vite savoir qui je suis. 

Parce que je vais vous le montrer. 

Go PACERS

#DomixWorld

-Benn

FEATURED STORIES