Mérité, Pas Donné

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La première fois que j’ai parlé à Sam Presti, j’étais vraiment dans un des moments les plus difficiles de ma vie. Pourtant, ça aurait dû être l’un des plus beaux. On est en 2019, c’est la soirée du repêchage, et je croyais être à quinze minutes de réaliser mon rêve.

Puis quinze minutes passent.

Et encore quinze autres…

Et là, tout d’un coup, le repêchage est terminé, et je suis complètement mêlé. Personne n’a appelé mon nom.

Ce n’était vraiment pas censé de se passer comme ça. Je pensais avoir eu une grosse saison à Arizona State. Toute l’année, on me voyait comme un choix de première ronde. Vers la fin par contre, j’ai commencé à descendre dans les projections. Première ronde, puis "fin de première", puis "début de deuxième". Qui sait pourquoi. Mais ça ne me dérangeait pas tant. J’ai fait le processus du draft, les entraînements dans différentes villes, et j’ai eu de bons retours. Je n’ai pas eu d’invitation pour le green room, mais je pouvais quand même être dans la salle avec ma famille. Je voulais vraiment vivre ce moment-là, monter sur la scène, mettre la casquette, serrer la main du commissaire.

Je n’oublierai jamais comment je me sentais, assis dans l’aréna, à entendre tous ces noms passer avant le mien. Au milieu de la deuxième ronde, je me suis dit: Ils m’ont toujours pas appellé?? Puis, c’était fini. Ma famille et moi, on s’est levés et on est parti. J’étais frustré, triste.

En sortant, mon téléphone à sonné. C’était Sam. Il m’offrait un contrat à deux volets. Dans ma tête, c’était clair: “c’est une opportunité, et je la prends.” Mais honnêtement, c’était dur à vivre. J’avais honte. J’ai pleuré en revenant à l’hôtel. Je pleurait encore le lendemain, en route vers Oklahoma City. J’étais rempli d’émotions. J’étais fâché. Je me demandais ce qui avait mal tourné. Je n’avais pas de réponse claire. J’ai commencé à douter. Je me disais: Est-ce que je suis prêt pour ça ? Est-ce que je suis assez bon?

Luguentz Dort | Mérité, Pas Donné | The Players’ Tribune
Taylor Baucom/The Players' Tribune

Mais en même temps, je me suis dit: Je vais leur montrer qui je suis, que j’ai ma place ici.

Ceux qui me connaissent bien le savent déjà: je vais tout faire pour atteindre mes objectifs.

Mes parents ont immigrés d’Haïti au Canada dans la vingtaine, pour bâtir une meilleure vie pour moi et mes frères et sœurs. Ils ont dû tout recommencer à zéro. Voir tout ce qu’ils ont traversé pour repartir à neuf, ça m’a appris que dans la vie, rien n’est donné. Il faut travailler fort pour tout. C’est ce qui me motive chaque  jour. Donc, quand je suis arrivé à la summer league et au camp d’entraînement, mon état d’esprit était simple: va le gagner.

C’est ça aussi, notre groupe. Beaucoup de gens nous voient et se disent : Ah, le Thunder, ils sont jeunes, une nouvelle génération… Et c’est correct. Mais honnêtement, dans notre vestiaire, c’est plus profond que ça. Oui, on a du plaisir, on sait qu’on est jeunes et on s’assume. Sauf que.. chacun de nous joue pour quelque chose de plus grand.

Pour moi, c’est la ville qui m’a forgé. Un endroit à la fois difficile et magnifique : Montréal. Je ne serais pas ici sans elle. Peu importe où tu vas en ville, tu croises du monde qui parlent créole, surtout à Montréal-Nord. C’est comme le petit Haïti à Miami. Haïti a vécu des années difficiles, alors quand quelqu’un a la chance d’aller au Canada ou aux États-Unis, il la prend. C’est comme ça que mon histoire a commencé, avec mes parents qui ont fait ce choix.

Là où j’ai grandi, la plupart des gens, surtout les Haïtiens, sont issus d’immigration et se refont une vie. Pour être franc, c’est pas toujours un quartier facile. Le basket, je voyais ça comme ma porte de sortie.

Chaque été, il y avait un gros tournoi de basket de rue dans le quartier. Les matchs étaient très physiques, ça jasait fort, ça trash-talkait. Tous les jeunes jouaient, les plus vieux entouraient le terrain. C’était PLEIN de monde. Si tu penses à New York, imagine Rucker Park ou Dyckman. Chris Boucher jouait dans ces tournois-là, et je me souviens qu’on se poussait fort. Il était plus vieux que moi, mais c’était un vrai show. C’était fou.

La foule là-bas, c’était des fans de basket très bruyants. Ils nous encourageaient fort. Les avoir là, ça te poussait à donner ton meilleur. Tu voulais être solide devant eux. Pendant quelques heures, tout était paisible et le monde était ensemble, tout était chill. Ça m’a donné une vision. Je me disais à l’époque: C’est juste un tournoi de rue, mais regarde l’impact. Si je continue, qui sait ce que je pourrais ramener au quartier un jour?

Luguentz Dort | Mérité, Pas Donné | The Players’ Tribune
Lu Dort

J’ai deux grands frères, et ils m’ont dit tout de suite : "Lu, t’as une chance de partir." Ils y croyaient, alors ils m’ont gardé sur le droit chemin. À 16 ans, j’ai déménagé aux États-Unis pour jouer dans une prep school en Floride. Ça m’a amené à ASU, puis jusqu’à la ligue.

Aujourd’hui, dans notre vestiaire, mon parcours me rapproche de tous les gars. On ne vient pas tous du même coin, mais chacun de nous a quelque chose à prouver. Une histoire. Une ville d’origine.

Et oui, ces dernières années, on s’est tous rassemblés autour du même objectif : ramener un championnat ICI.

Dans cette ville. Oklahoma City.



Il y a un moment, il y a cinq ans, où j’ai compris que Shai, c’était du sérieux. On est en 2019–2020, avant la bulle. J’étais rookie, et Shai venait d’arriver à OKC avec Chris Paul et Dennis Schröder.

Un soir à Detroit, Coach Donovan appelle un temps mort, on est dans le huddle. Shai était un des plus jeunes du groupe, mais déjà notre meilleur scoreur. Je ne sais plus qui appelait le jeu, mais la balle n’allait pas à Shai. Shai, c’est un gars relax. Il ne s’est pas fâché, il a juste dit : "Laissez-moi quelques jeux", ou quelque chose du genre. Un jeune qui dit ça, c’est audacieux. Mais c’est Shai… il est allé marquer genre 12 points de suite. Je me disais : "Ok ouais, ce gars-là est spécial."

La chimie dans cette équipe, c’est vraiment unique. J’ai joué contre Shai au secondaire — et contre Aaron Wiggins, Isaiah Joe aussi. Isaiah a joué avec Jaylin Williams au collège. JDub vient d’Arizona, il m’a vu jouer à ASU. Maintenant, on est tous ensemble. Ça a facilité la connexion dès le début. Puis à chaque nouveau joueur, la chimie continuait de cliquer. Que ce soit Cason qui rentre des gros tirs, Hartenstein qui fait le boulot sous le panier, ou Chet qui fait tout. Chacun a sa personnalité, chacun amène ses forces… mais tout ça, c’est comme une famille. On est rendus très proches. Je ne sais même pas trop comment c’est arrivé. Un jour tu te réveilles, puis tu réalises que tu fais partie d’une vrai fraternité.

Si on va jusqu’au bout… ce sera la plus belle partie de l’histoire. Pas juste pour les matchs. Mais parce qu’on l’aura fait ensemble, entre frères.

Luguentz Dort | Mérité, Pas Donné | The Players’ Tribune
Zach Beeker/NBAE via Getty Images

Il y a des moments cette saison où c’était comme un film. La vie, c’est bizarre comme ça. 99,9% du temps, j’essaie juste de rester concentré sur le présent. Mais parfois, tu sens que quelque chose de gros s’en vient. Tu te dis : Profites du moment. Souviens-toi de tout ça.

En Avril, j’ai eu ce feeling-là. On avait autour de 60 victoires, une série de 11 gains. Mais même là, tu ne sais jamais comment ça va finir, il faut rester humble. Pas trop s’emporter, pas trop se décourager. Mais parfois… tu le vois. Tu le sens. C’était comme: On a une équipe. On est vraiment forts.



Dans la NBA, tout peut changer du jour au lendemain. J’ai vécu ça en séries à ma première année, dans la bulle. J’ai commencé sur un contrat à deux volets, puis à la fin, j’étais partant en séries. Tout est arriver si vite. Je ne dirais pas que je me suis fait exposer… mais j’ai eu un reality check. Je n’étais pas encore assez bon tireur. Les équipes me laissaient donc shooter. Cette première expérience en séries m’a ouvert les yeux. J’ai montré que je pouvais défendre à un haut niveau, puis j’ai compris que si je travaillais mon tir, je pourrais vraiment devenir un problème. Je me suis concentré sur mon trois points, et ça s’est amélioré chaque année. Toute l’équipe s’est améliorée. On est passés de 22 victoires en 2021 (ouch), à 40, à 57, à 68 (!!).

Mais même dans les saisons difficiles, j’ai jamais oublié que les fans du Thunder sont des vrais. Depuis que l’équipe est ici, ils ont tout vu. Cette ville a vu passer de grands joueurs, des superstars, qui y ont laissé des souvenirs. Je sais qu’OKC, c’est une ville qui aime vraiment le basket. Qui s’est battue pour avoir une équipe, puis qui traite la franchise comme si elle avait toujours été là. Je suis arrivé ici à 19 ans, avec tout à prouver, et je suis juste reconnaissant que la ville m’ait adopté. Maintenant, l’amour que je reçois juste en allant à la station d’essence, dans Bricktown, au centre d’achats, partout en ville, c’est fou. On est conscients de ce qu’on représente pour OKC. Et chaque fois qu’on peut être là pour les fans, on va l’être.

Luguentz Dort | Mérité, Pas Donné | The Players’ Tribune
Zach Beeker/NBAE via Getty Images

L’an passé, on était tout près. Ça s’est joué sur l’expérience. On était jeunes, on a eu du succès en saison, mais les séries, c’est un autre niveau. Les équipes préparent les séries différemment, jouent d’une façon que tu n’as pas vue toute l’année. On s’attendait à ça, mais c’était nouveau de devoir s’ajuster aussi vite. Dallas, c’était difficile à arrêter. Il ne faut pas écouter ce que les gens disent dehors, même quand tu es favori. Il ne faut pas que ça te rentre dans la tête. Ce qu’on a appris, c’est que parfois, tu es censé gagner… mais tu ne gagnes pas.

C’est en grandissant à travers cette déception, on a trouvé notre identité défensive. Cette saison, on a prouvé qu’on peut rivaliser dans n’importe quelle aréna. On va rendre ça difficile pour la superstar de l’équipe. On va te faire perdre la balle. On veut que ce soit l’enfer pour nos adversaires. Quand tu joues contre nous, il faut que tu sois prêt. C’est fou, on regarde le film après les matchs, puis on se hype juste à voir notre énergie. Ce n’est pas juste deux ou trois gars qui défendent, c’est tout le monde qui y met du cœur. On a gardé ça toute la saison. C’est pour ça qu’on est une des meilleures équipes défensives de l’histoire de la NBA.

Comme je dis: Mérité, pas donné. C’est ça notre équipe aussi.

C’était mon état d’esprit en grandissant aussi, puis ça l’est encore aujourd’hui. Shoutout à Montréal, puis à tous mes Haïtiens aussi. Dans mon quartier, on est fiers de représenter d’où on vient. J’ai toujours représenté Montréal-Nord. Puis rendu aux États-Unis, j’étais fier de représenter Montréal, puis le Canada. Montréal, c’est une ville d’underdogs que le monde sous-estime. Faut pas dormir là-dessus. C’est une ville très dope.

J’ai un faible pour les villes underdog en général. Les endroits que le monde considère moins flashy. Les petites villes, les quartiers ouvriers, tu vois ce que je veux dire ? Les endroits qui ont vécu des moments difficiles… font en sorte que les bons moments aient encore meilleur goût.

Aux fans du Thunder… je sais que vous avez des hauts et des bas. Je sais que vous entendez tout le temps qu’on est jeunes, qu’on a du potentiel, que notre fenêtre pour le titre est grande ouverte. Et oui, c’est peut-être vrai pour l’avenir.

Mais là, tout de suite ? Ce n’est pas une question d’âge, ni de fenêtre. C’est une opportunité en or qu’on a devant nous. On est presents, avec vous, prêts à faire quelque chose de spécial.

C’est les FINALES!! Ce n’est plus histoire de potentiel.

C’est rendu réel, là.

Et nous, on l’est aussi.

—Lu

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